Tunisie : Ingérences diplomatiques et libertés médiatiques
Mardi, 08 Mai 2012 14:50

journaux-tunisieAprès l’ingérence américaine dans des affaires de justice tunisienne, voici que l’Union Européenne intervient à son tour dans le dossier brûlant des médias tunisien. Et si l’Amérique n’évoque pas ses garanties sur les prêts accordés à la Tunisie, l’UE, elle conditionne carrément son soutien. Moralité ?


Le gouvernement tunisien a fini par réagir, lundi 7 mai aux déclarations de l’ambassadeur américain sur le procès Nessma. M. Gordon Gray avait en effet affirmé, jeudi dernier, que «la condamnation de Nebil Karoui pour blasphême soulève de sérieuses préoccupations au sujet de la tolérance et la liberté d'expression dans la nouvelle Tunisie». Le ministère des affaires étrangères, relayé par l’agence Tap a ainsi souligné que «Les déclarations de l'ambassadeur américain en Tunisie constituent une ingérence dans la justice tunisienne». Rappelant que «le gouvernement tunisien respecte l'indépendance de la justice conformément aux normes internationales».

La plainte concernant l’affaire Persepolis a été jugée recevable par la justice sous le gouvernement Caid Essebsi. Et le directeur de la chaîne s’était à l’époque excusé, précisant même qu’il n’aurait pas passé le film s’il l’avait visionné. Dont acte. On se souviendra également d’autres «détails». Ainsi, Hillary Clinton, la secrétaire d’Etat américaine, avait choisi la chaîne privée Nessma TV, comme seule tribune télévisée lors de sa visite en Tunisie, en mars 2011. Difficile donc, de croire que l’initiative de l’ambassadeur américain n’ait pas été prise en concertation au plus haut niveau avec son gouvernement.

Or il ne s’agit pas de la seule «tentative d’ingérence» dans les affaires tunisiennes. L’Europe s’est aussi penchée sur l’état de nos médias, et se propose même de réévaluer son aide, en fonction de l’évolution de ce dossier.

 M. Adrinaus Koetsenruijter, l'ambassadeur de la Commission européenne à Tunis, a déclaré, le lundi 7 mai, que l’UE conditionnera son aide à la Tunisie par la promulgation des deux décrets (115 et 116) proposés par l'Instance Nationale pour la Réforme de l’Information et de la Communication (INRIC). Deux décrets susceptibles de réguler et d’encadrer juridiquement le secteur des médias.

Les signaux du gouvernement tunisien
En somme, ces deux tentatives «d’ingérence» américaine et européenne interviennent dans le contexte de la liberté d’expression. A croire qu’à ce niveau, le gouvernement n’ait pas vraiment donné de signaux vraiment rassurants tant aux professionnels du domaine, qu’à ses partenaires étrangers. On aura par exemple noté le retour de figures médiatiques de l’ancien régime à la consultation sur la réforme des médias ouverte par le gouvernement. Les journalistes mauves, les collaborateurs du régime de Ben Ali, seraient-ils les mieux à même de réformer les médias de la Tunisie de la Révolution ? Comment interpréter ces invitations pour le moins controversées ? Peut-on décemment faire appel à des professionnels de la manipulation et de la désinformation, qui ont fait leurs preuves sous la dictature, pour consacrer la liberté d’expression ?  Par ailleurs, les appels à privatiser des institutions médiatiques publiques, les violences commises à l’égard des journalistes, contribuent à noircir le tableau.

Certes, un Etat indépendant et souverain n’est en aucun cas appelé à suivre à la lettre les conseils, encore moins les «consignes» des puissances étrangères. L’ingérence est par définition inacceptable par les citoyens et les dirigeants d’un Etat de droit et démocratique.

Le dilemme tunisien
D’un autre côté, demander et accepter le soutien d’Etats étrangers ne nous expose-t-il pas à prendre en considération leurs «avis» plus ou moins bienveillants ? Le cas échéant, les Etats «amis», n’ont-ils pas également le droit de temporiser, de conditionner, ou même de refuser d’accorder leur soutien si les conditions ne leurs conviennent plus ? Mais… La Tunisie a-t-elle vraiment le choix ? Certes, le président de la République, M. Marzouki a affirmé que «le Qatar aide notre pays sans aucune contrepartie». Certes, les pays du Golfe ne sont guère regardants sur les questions de liberté d’expression. Mais le ministre des finances lui-même, M. Houcine Dimassi, n’a-t-il pas regretté que l’appui des «frères arabes» était en deçà des attentes du gouvernement tunisien ? Pouvons-nous donc nous passer des prêts bancaires, des fonds de financement européens ? Notre pays peut-il se permettre de ne plus recourir aux prêts que le gouvernement américain garantit à hauteur de 100%?

Le moment d’euphorie (et de surprise) passé, les signaux émis par le gouvernement sur des questions aussi importantes que la liberté de la presse, ont été pour le moins diversement appréciés par l’opinion nationale et internationale. Le dossier explosif des médias n’a visiblement pas été géré avec les précautions requises. Et en définitive, qui devrions-nous tenir pour responsable si l’image scintillante de la Révolution en venait à être quelque peu ternie ?

Oualid Chine

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