Samedi, 23 Mars 2013 17:00

emel mathlouthi«Voici mon hommage à Chokri Belaid et Lotfi Naghd, les deux premiers assassinats politiques depuis la révolution en Tunisie, cette chanson a été inspirée par les mots de la mère de Ali Ben Jeddou El Aleimi jeune chômeur mort électrocuté lors du soulèvement populaire a Redeyef en 2008».

C’est ainsi qu’Emel Mathlouthi a présenté sa dernière chanson, diffusée le vendredi 22 mars sur les réseaux sociaux. Sauf que les internautes tunisiens n’ont pas été tendres avec la jeune artiste. Pis : c’est à une véritable avalanche de commentaires moqueurs qu’elle a dû faire face. Des petits malins se sont même amusés à se photographier avec des slogans railleurs anti-Emel sur le corps, en une posture inspirée des controversées Femen. D’autres l’ont tout simplement suppliée d’arrêter de chanter.

Autant dire que la chanson dédiée à Chokri Belaid, n’a pas eu le succès escompté. La chanteuse finira elle-même par monter au créneau. Elle écrira : «Mettez plus d'énergie à venger sa mort plutôt que d'imaginer ce qu'il fait dans sa tombe et surtout allez déverser votre haine ailleurs, si vous n'aimez pas ça ne regarde que vous».

emel mathlouthi

On remarquera cependant que des messages de sympathie et même de soutien inconditionnel ont aussi été publiés. Et ceux qui prennent la défense de la chanteuse, sont souvent d’origine européenne. Un certain «Michel du Jura» écrira ainsi : «On t'aime en tant que chanteuse mais aussi comme femme engagée pour que la Tunisie ne tombe pas entre les mains de tous ces obscurantistes qui ne méritent pas le doux nom de Tunisien».

En somme, au-delà de la chanson, et des trémolos orientalisants dont Emel use et abuse, c’est d’abord son image de Femme «engagée contre l’obscurantisme» qui séduit par delà la méditerranée. Un argument marketing qui fait mouche auprès des Européens d’autant plus qu’ils ne sont pas confrontés à l’indigence de paroles qu’ils ne comprennent pas.

Le magazine culturel français les «Inrockuptibles» se fera même dithyrambique, en jugeant ses qualités vocales «remarquables», et glosant sur «son style envoûtant, parfois lyrique» qui  «a su peindre un univers des plus singuliers et atypiques puisant ses inspirations dans l’eau saline de ses racines pour ainsi pousser jusqu’à des sonorités électro-éclectiques». Difficile de faire mieux, non ?

emel mathlouthi

Et au-delà des critiques, une tournée 2013 mènera Emel Mathlouthi sur plusieurs scènes françaises, de Paris à Marseille, mais aussi à Dortmund, en Allemagne, puis dans différentes villes du au Maroc, puis au Caire, à Istanbul, Amman, jusqu’à la Palestine, à Ramallah, à New York, Montréal…  
Très rares sont les artistes tunisiens à pouvoir  se targuer d’aligner un agenda international aussi chargé.

Pas vraiment une chanteuse underground
Et voici qu’après la «Parole libérée» par la Révolution (la fameuse «Kelmti Horra»), Emel tente de surfer sur la vague provoquée par l’assassinat de Chokri. Sauf qu’avec des lyrics plus pathétiques que lyriques, Emel coule à pic. Mais la médiocrité d’une chanson justifierait-elle pour autant un tel acharnement, et une campagne qui frise le dénigrement ? Clairement non.

emel mathlouthiLe journaliste Thameur Mekki, proche des milieux de l’underground tunisien, lâchera ainsi : «A ma connaissance, tu n'étais pas à Tunis le 14 janvier 2011. N'est-ce pas ? Et la vidéo d'El Arabiya a été tournée le 22 janvier. Tu as évoqué l'Histoire, pourquoi la falsifier» ? Il poursuivra : «les articles de presse internationale sur ton militantisme sont tronqués non pas à cause d'une ivresse éditoriale des médias mais plutôt à cause de tes mensonges ainsi que ceux du service communication de tes producteurs».

En somme, selon cette version, le succès d’Emel Mathlouthi reposerait sur un malentendu. Une erreur d’interprétation commise par des Français en mal d’exotisme orientalisant, mâtiné d’un féminisme de pacotille à opposer aux barbus grimaçants.

Ce qui agace de nombreux Tunisiens, c’est que la jeune chanteuse ait pu autant capitaliser et bénéficier de l’image de la Révolution. Alors qu’en réalité, elle est loin d’être la plus représentative de la résistance artistique tunisienne. Emel Mathlouthi n’a jamais réellement été de ces chanteurs engagés, qui ont frôlé tous les dangers sous Ben Ali, et qui continuent de repousser les lignes rouges, aujourd’hui. En clair, certains lui reprochent de cueillir les fruits que d’autres ont eu tant de mal à semer. Mais peut-on sérieusement rechercher une justice dans la chanson ?

Soufia Ben Achour

Emel Mathlouthi, pas de justice dans la chanson
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