Dans son discours prononcé ce mardi 23 octobre à l’Assemblée Constituante, Moncef Marzouki, le président de la République n’a pas manqué d’évoquer les parts du gâteau que d’aucuns aimeraient se tailler. Quoi de plus normal, puisque c’est le premier anniversaire des élections que l’on a célébré. Or pas de fête digne de ce nom sans gâteau pour les invités.
Mais pour l’occasion, Marzouki a souligné dans son allocution : «Il faut donner du temps au temps pour que le gâteau puisse grossir avant de le partager. Partager maintenant un aussi petit gâteau est une politique qui pourrait avoir de graves retombées». Le président conseille donc aux Tunisiens, d’éviter d’être trop gourmands, et de remettre à plus tard les réjouissances.
Sauf qu’on aura noté que les parlementaires, eux, ceux-là même pour lesquels nos concitoyens ont voté une année plus tôt, le 23 octobre dernier, ne se sont pas privés de se disputer une plus grande part du gâteau. Les augmentations, primes en tous genres, n’ont d’ailleurs même pas suscité de polémiques au sein de la vénérable assemblée. La bipolarisation évoquée par Marzouki dans son discours comme un spectre terrifiant, a cédé la place à une angélique communion quand ces élus ont âprement disputé leurs augmentations. Et il a même été question (en douceur) d’une retraite, pour lesquels la majorité de nos députés sont allés jusqu’à signer une pétition, avant de virer de bord, et de crier à la conspiration. Charité bien ordonnée commence par soi-même.
En d’autres termes, si la pâtisserie n’est pas assez grosse pour rassasier tous les Tunisiens, certains pourront se servir en priorité. Et qu’importe si ce beau monde est censé donner l’exemple, et même des leçons, en ces historiques occasions. On se permettra pourtant de rappeler à nos élus qu’il n’est guère bienséant de parler la bouche pleine. Il ne faudrait surtout pas, à Dieu ne plaise, qu’ils avalent de travers leur part du gâteau.
Les Tunisiens eux, surtout ceux des zones défavorisées, devront encore attendre avant d’y goûter. Ils auront relevé que leur dossier n’a manifestement pas été examiné en priorité. On fera mine d’oublier que ce sont ces régions qui ont payé le plus lourd tribut, et le prix du sang à la Révolution. Ils devront attendre sagement leur part, et sans se montrer excessivement turbulents. On leur conseillera de fermer les yeux sur les conditions des concours d’accès aux boulots dans les administrations, de faire la sourde oreille aux sirènes de la contestation, et de ne s’armer que de patience. Les sucreries, ça sera pour plus tard. Le cas échéant, en lieu et place des mielleuses paroles, ils apprendront que les matraques et les lacrymos, c’est pas vraiment du gâteau.
Oualid Chine