Dimanche, 18 Novembre 2012 16:19

bechir-benhassenLe Cheikh Béchir Ben Hassen, l’une des principales figures du salafisme dit «scientifique» (salafia îlmia) a donné une conférence au palais de Carthage, le samedi 17 novembre. M. Ben Hassen a voulu délivrer un message d’apaisement et de tolérance, affirmant que «si des questions religieuses peuvent nous séparer, le drapeau national doit nous rassembler».

De belles paroles, donc, qui ne peuvent a priori que susciter l’adhésion des présents. Dans son intervention, le cheikh, a voulu présenter la doctrine salafiste sous son meilleur jour. Et qu’importe s’il faille pour cela tordre le cou à certaines vérités historiques.

Ainsi, pour Béchir Ben Hassen, la débâcle islamique a commencé quand les Musulmans se sont emparés des œuvres de la philosophie grecque. Un apport étranger qui ne pouvait représenter, à ses yeux, qu’une «bid’aa», une innovation blâmable. En d’autres termes, les Ibn Sina (Avicenne), Ibn Rochd (Averroes), Al Kindi, tant de penseurs qui ont incarné l’âge d’or de la Civilisation Islamique, seraient, selon lui, responsables de notre décadence. Cherchez l’erreur. Et si le prédicateur déclarera la technologie utile, il la dissociera cependant de tout l’environnement intellectuel, et social, qui a justement permis son émergence, via la recherche scientifique. Une renaissance (Nahdha) serait-elle possible, sans la liberté de penser ?

La violence en Tunisie
Si le conférencier a regretté les violences attribuées (souvent à tort, selon lui) au salafisme, il affirme que leur origine est à trouver dans le vide religieux que la dictature a favorisé. C’est donc à cause de notre carence en Ulémas que nos jeunes sont désorientés, et se retrouvent impliqués dans des débordements que la doctrine salafiste ne saurait théoriquement justifier. Ben Hassen soulignera que «la violence qui apparait en Tunisie, n’existe pas en Egypte ou au Maroc, des pays pourtant tout aussi bien pourvus en salafistes». La solution serait donc d’ouvrir nos portes aux «savants religieux», pour remédier à nos carences en la matière. Or affirmer que seule la Tunisie connaît la violence «salafiste», est pour le moins une contrevérité. Pis : dans les pays cités en exemple par le Cheikh, des événements sanglants ont déjà démenti ces allégations.

Les exemples marocains et égyptiens
En mai 2003, un attentat déclenché par un groupe salafiste originaire du bidonville de Sidi Moumen a fait 45 morts au cœur de Casablanca. En mai 2012, les autorités marocaines annoncent avoir démantelé un réseau affilié à Al Qaida au Maghreb Islamique. En clair, les autorités tunisiennes avaient de bonnes raisons de refouler, le 15 mai dernier, le salafiste (djihadiste) marocain Abou El Fadhl Omar El Hadouchi, à l’aéroport Tunis Carthage.

Quant à l’Egypte, les groupes salafistes y ont d’abord bénéficié de la mansuétude (voire du soutien) de Moubarak, qui en faisait un pion sur son échiquier, dans la partie jouée contre les Frères Musulmans. Après la Révolution, ces mêmes groupes visent désormais les Coptes, et tous les éléments jugés peu conformes à leur vision de la religion. La Tunisie n’est donc clairement pas la seule dans la région à être visée par la violence salafiste, contrairement à ce qu’affirme le cheikh Ben Hassen.

Et les agressions ne ciblent pas seulement les personnes, mais s’en prennent même à l’héritage historique. Un prédicateur salafiste égyptien, a longuement argumenté, sur une chaîne télé à grande audience, de la nécessité de démolir le Sphinx et les pyramides, puisque représentatifs d’une religion antéislamique. Ce «débat» a eu lieu il y a quelques jours sur la chaîne Dream 2, en présence d’un Abdelfattah Mourou éberlué par la violence des propos.

Dans ce même contexte, mais au Maroc cette fois-ci, une ONG a reproché aux salafistes, le 14 novembre, d’avoir détruit sur le site archéologique de Yakour, des gravures sur pierre représentant le soleil, datant de plus de 8000 ans. Les fermetures, les incendies, et les actes de vandalisme qui ont touché les mausolées en Tunisie ne sont donc clairement pas des actes isolés. Et au cœur de l’Arabie Saoudite, même des monuments attestant de la gloire de la civilisation islamique ont été démolis, par ceux-là même qui jettent aujourd’hui l’anathème sur les «blâmables innovations». Autant de raisons, donc, qui ont poussé, au fil des siècles,  les autorités islamiques à contrecarrer les avancées d’une idéologie aux ressorts obscurs. Faudrait-il aujourd’hui les accueillir dans notre pays ?

De la Zeitouna au califat Ottoman
Ces prédicateurs  qui ont désormais droit de cité dans la Tunisie d’après la Révolution, ont été pourtant rabroué dès le 19ème siècle par la Zeitouna, sous le règne de Hammouda Pacha. Et alors que les nostalgiques de l’unité islamique évoquent le califat, les califes ottomans, eux, ont combattu sans relâche les ancêtres de ces cheikhs salafistes. Le sultan Mahmoud II, l’un des derniers représentants de la Sublime Porte, a même décapité Abdallah Ibn Saoud, sur la place publique, à Istanbul. Et les salafistes sous leur avatar wahhabite ne reprendront du poil de la bête qu’avec, dans un premier temps, l’aide des Britanniques, désireux de battre en brèche l’influence des Ottomans, derniers garants de l’unité des Musulmans. Avant que l’Oncle Sam ne prenne le relai dans la région.

L’appui de l’Oncle Sam
Le 14 février 1945, le pacte de l’USS Quincy est signé entre le roi Abdelaziz ben Abderrahman ben Fayçal Al Saoud et Franklin Delano Roosevelt, le président américain de l’époque. Les Saoudiens offrent depuis leur pétrole, en échange de la protection des Etats-Unis. La suite ? On la connait. Via les prêches de prédicateurs mercenaires qui vont jusqu’à inverser les priorités des Musulmans, passant tour à tour la lutte contre l’Irak ou la Syrie, avant celle menée contre le sionisme et les croisades de l’Amérique.

Des «cheikhs» distilleront, via les chaînes satellitaires, les fatwas d’Ibn Baz, Al Albani, Otheymine, bénéficiant du flot ininterrompu des pétrodollars. Des «maîtres à penser» dont Béchir Ben Hassen est l’élève, pour avoir étudié leur doctrine en Arabie Saoudite, à l’université  Om Al Kora, à la Mecque. Une doctrine qui déclare le niqab obligatoire, la musique, l’art, interdits, et autorise le mariage des filles de neuf ans, tout en ergotant sur les conditions sous lesquelles l’esclavage peut être permis. Une idéologie qui considère qui considère chiîtes, achaârites, soufis comme étant au mieux comme des «égarés», au pire, comme des «hérétiques». Le site officiel de «la Présidence Générale des Recherches Scientifiques et de la délivrance des fatwas» du Royaume d’Arabie Saoudite, présente à cet égard une compilation des avis religieux délivrés, en ayant pris le soin de les traduire également en français et en anglais. Edifiant.

Or permettre la diffusion subventionnée et à grande échelle de «valeurs» qui ont déjà été combattues becs et ongles, à travers l’Histoire, par les plus prestigieux Imams de la Omma islamique, ne saurait représenter une avancée. Certes, rien ne saurait justifier que l’on puisse maltraiter des citoyens tunisiens en détention dans la Tunisie de la Révolution. Que deux Tunisiens aient pu mourir dans le silence, après deux mois de grève de la faim, est un scandale.  

Mais importer des prédicateurs étrangers sous prétexte de pseudo-carences religieuses, ne saurait en aucun cas apaiser les tensions et pacifier les intentions. En définitive, ouvrir les palais de la République aux missionnaires du salafisme, est-il réellement le meilleur remède aux dissensions ?

Oualid Chine

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