Belhassen Trabelsi est innocent et veut retourner en Tunisie. Il vient de le dire, et de l’expliquer, dans une longue lettre adressée aux Tunisiens. Les flics aussi sont innocents. Ils sont victimes de la violence des manifestants. Saida Agrebi est innocente dit-elle. Et en plus, que risque-t-elle ? La loi est de son côté.
Puisque au pire, elle ne serait inculpée que pour avoir détourné la somme nécessaire au paiement des mères de Tunisie associées. Quant à Leila Trabelsi-Ben Ali, elle va bientôt sortir son bouquin qui nous donnera la mesure de sa générosité. La sorcière Carabosse n’était en réalité qu’une fée.
Entretemps, Hédi Jilani, beau-père de Belhassen Trabelsi, à qui il a donné sa fille sans confession, s’excuse de s’être excusé. Parce qu’il n’aurait rien commis de répréhensible, et n’aurait œuvré, lui et ses collègues du big business, que pour la prospérité de la Tunisie. L’appel à l’absolution des hommes d’affaires du cercle rapproché est lancé. Les emplois et la reprise économique sont, paraît-il, à ce prix.
Ben Ali n’est pas innocent, mais le gouvernement a d’autres priorités que son extradition. Il continuera donc de profiter de sa retraite. Il pourra donc faire autant de Omra et de Hajj qu’il voudra. Et qui sait. Après des pèlerinages répétés, il finira même, peut-être, par se laver de ses péchés, et nous accuser. Et puis, pourquoi ne pas se résoudre finalement, à lui envoyer son ami Abdallah Kallel lui tenir compagnie ? On aura fait œuvre de charité, et on plaira à notre grand frère Saoudien, devant lequel un officiel tunisien s’est incliné pour faire le baisemain. Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour les beaux yeux d’un larbin du gardien des Lieux Saints.
Les archives de la police politique ? Elles resteront secrètes. Sans doute pour notre bien. Et certainement pas pour protéger ceux qui alimentaient les boîtes noires du ministère. Les supplétifs médiatiques de Ben Ali ? Ils sont innocents, et seront même rétribués. Pour leur peine, ils continueront de sévir et à s’enrichir, aux commandes des radios privées, dans les journaux, sur le Net, et à la télé… La liste noire des journalistes a finalement été blanchie à la chaux vive. C’est dire que les dossiers sont désormais étincelants de propreté.
Les snipers qui ont tiré les Tunisiens comme des lapins ? Une rumeur, une légende urbaine de plus. Et qu’importe si le mythe s’est avéré mortel de Tunis, à Kasserine, Thala. Les blessés de la Révolution ? Des arnaqueurs qui méritent de se faire tabasser au ministère des Droits de l’Homme. Ce n’est que justice. Transitionnelle.
Le scénario ne vous convient pas ? Vous pourrez toujours manifester votre dégoût. Mais en privé. A moins que vous ne préfériez vous faire matraquer. Sinon, il vous restera toujours le choix de vous flinguer. Et devenir l’ultime martyr de la révolution avortée.
Oualid Chine