Vendredi, 14 Décembre 2012 18:02

jeunes-tunisieLa rupture entre les Tunisiens et leur classe politique est presque consommée. Or en démocratie, même en cas de divorce déchirant, c’est par les urnes que passe le changement. Mais a-t-on vraiment le choix entre le double-zéro pointé et le retour de la momie ?

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Hamadi Jebali, le chef du gouvernement qui parait plus que jamais assis sur un siège éjectable. Le nom de son successeur, Nahdhaoui, comme il se doit, est déjà annoncé par quelques médias. Et ce, quelques jours à peine après qu’aient fusé de nouveau les appels à abattre le régime, dans un contexte de grave crise sociale, marqué par l’appel à la grève générale, lancé par l’UGTT. Jebali brandit de nouveau une date pour les (éventuelles) élections, dans une tentative de modérer les ardeurs supposément régicides. C’est que le peuple est mécontent. Il parait même qu’il veut un grand chambardement.   

Double-zéro sur la tête
Et Ennahdha, en pleine déconfiture, est particulièrement visée. La réaction ? Après avoir fait une campagne façon Erdogan, voici que les supporters de Ghannouchi se la jouent à l’iranienne, façon pasdaran, avec des milices qui sévissent, gourdins à la main. Le scénario du pire paraît toujours imminent, avec les djihadistes qui crapahutent en faisant le coup de feu à nos frontières, et des cheikhs approvisionnés en pétrodollars, qui entendent de surcroit marier nos donzelles à neuf ans. Un scénario guère séduisant, à moins de porter un double-zéro sur la tête.

Le retour du Destour momifié
Reste Essebsi. Il paraît qu’il se prend pour un Caïd avec son «appel de la Tunisie». Sauf qu’il joue en catimini une partie sicilienne avec une défense aussi acharnée que verrouillée de ce qui reste de la smala des RCDistes. Demi-sels, gauchos sur le retour, gros bonnets effilochés par la Révolution, faux journalistes et vrais ex-flics, constituent autant d’épouvantails qui s’agitent dans l’ombre du vieillard, annonçant le retour de la momie du Destour, que l’on croyait gisante au Mausolée de Monastir, depuis que les bains de mer de Bourguiba ont été évincés du journal télévisé.

Et aux dernières nouvelles, les deux pôles Nahdhaouis et Sebsistes n’excluraient même pas une éventuelle alliance, histoire de réveiller les quelques Tunisiens qui rêvent encore de Révolution. Un scénario que confirment les déclarations aussi coulantes que conciliantes d’Essesbi, et l’accès de lucidité médiatisé de Lotfi Zitoun. Zappez !

Chaussettes tirebouchonnées sous le burnous
Moncef Marzouki ? Le droit-de-l’hommiste qui prétendait faire une synthèse du nationalisme, mâtinée de valeurs islamiques, et saupoudrée de modernité laïque, a assez perdu de crédibilité pour ne plus constituer une alternative aussi attrayante qu’avant le 23 octobre. La pantalonnade des prérogatives, les djihadistes tour à tour qualifiés de microbes puis invités à Carthage, la fameuse théorie des chaussettes tirebouchonnées sous le burnous, les revirements aussi secs qu’inattendus ne présagent rien de bon pour la suite des événements.

Hamma, version guignolesque
Hamma Hammami a de la classe, lui, au moins, surtout dans la version guignolesque, quand il chante les louanges de son héroïque amazone, l’inégalable Radhia. Sauf que des personnages peu recommandables sont là, tapis dans l’ombre du Front Populaire. Des personnages qui dépeignent encore le sanguinaire Saddam sous les traits du héros de la Résistance Arabe. Quant à Hamma, quelques réminiscences de Stalinisme à l’albanaise, avec Enver Hoxha déclaré horizon indépassable, alors que le Mur de Berlin s’était déjà bruyamment écroulé, accentuent la part d’ombre d’un homme qui se veut solaire. Et après tout, on a beau prendre in extremis «le Parti des Travailleurs», les Tunisiens sont a priori vaccinés contre toutes les dictatures, fussent-elles du prolétariat. Mais… Peut-on vraiment jouer les gladiateurs altermondialistes style Hugo Chavez, quand on n’a pas le tiroir-caisse pétrolier qui va avec ?

Néjib Chebbi  donne le tournis
Néjib Chebbi ? Il a manifestement du mal à se remettre en selle depuis qu’il a failli s’étrangler avec son sandwich de campagne électoral. Il ne cèdera pourtant pas la place à Maya Jeribi autrement plus percutante et incisive. Le voici donc à négocier une place dans les strapontins d’Essebsi. Pour le moins paradoxal pour Si Néjib, qui est ainsi tour à tour passé du nationalisme arabe à l’extrême-gauche, avant de faire front commun avec les Islamistes. Et voici qu’il prétend aujourd’hui se rabibocher avec le Destour, une mouvance politique qu’il a pourtant combattue durant toute sa vie d’opposant. Des virages en épingle à cheveux, qui ont donné le tournis à un électorat déjà pris de vertige. Décoiffant.

Et si le spectacle offert par l’Assemblée Nationale Constituante peut paraître comique, il n’en reste pas moins que cette transition prend de plus en plus des accents tragiques, dans l’absence d’alternative sérieuse et crédible. Autant de raisons qui poussent peu à peu les Tunisiens vers une rupture consommée avec leur classe politique. Or en démocratie, même en cas de divorce déchirant, c’est par les urnes que passe le changement. Mais pour qui voter, en cas d’élections avec une offre politique aussi affligeante ?

Le pire ? C’est que dans ces conditions, on ne peut même plus appeler décemment à abattre le régime. Le fameux slogan «Echaâb yourid isqat ennidham» (le peuple veut mettre à bas le régime) ne risque en effet d’être entendu que par cette armée glorifiée, pourtant plus muette que jamais quand il s’agit de snipers, et autres joyeusetés. Et puis, pour ceux qui l’auraient oublié, dans les coulisses du théâtre d’ombres, pas besoin de voter pour le Maréchal Ammar pour espérer le voir s’installer sur les devants de la scène. Et à défaut d’être électorale, l’urne risque de prendre de funéraires allures militaires. C’est dire l’urgence d’un rajeunissement, pour donner un nouveau souffle à une classe politique usée, vieillie, décrédibilisée, ridiculisée.

Lotfi Ben Cheikh

Tunisie : La politique, du double zéro au retour de la momie
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