Jeudi, 07 Février 2013 15:34

chokri-belaid-manifTribune. Gilbert Naccache, militant historique de la gauche tunisienne, analyse les répercussions politiques et sociale du crime qui a visé Chokri Belaid la vie. Pour lui, la mobilisation populaire, est un signe qui ne trompe pas : la Révolution ne se laissera pas enterrer. Il nous a gracieusement autorisés à publier son texte. Le voici.

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Pourquoi, a demandé avec une naïveté un peu suspecte un journaliste à la wataniya 1, l’assassinat de Chokri Belaid a-t-il suscité une telle émotion ?

J’essaie de répondre à cette question, au fond légitime si on considère que, dans tout le pays, des gens qui ne connaissaient pas Chokri Belaid ni ses positions ont manifesté, d’abord leur émotion puis leur colère : on a vu partout des gens en pleurs, qui par le fait de ce crime odieux, venaient d’adopter comme un des leurs un militant qui leur était indifférent la veille et ont tenu à le montrer.

C’est que tout le monde a compris instantanément, avec la même évidence que celle qui avait frappé entre les 17 décembre et je 14 janvier, que, au-delà de l’assassinat d’un homme, il s’est agi d’un attentat préparé de longue date contre les principaux acquis de la révolution, les libertés forgées avec le sang des martyrs, avec la détermination inébranlable de tout un peuple, en particulier la liberté de pensée et la liberté d’expression.

gilbert-naccacheChokri Belaid était un dirigeant politique, et un homme qui n’avait pas peur de dire ce qu’il pensait, s’attaquant aussi ouvertement à des tabous qu’à des personnalités et leurs politiques. Le tuer est une façon de dire à tous que, quelque soit la place que l’on occupe dans la société, on n’a plus le droit d’exprimer autre chose que des vérités établies (où ?). Si, sous Ben Ali, on punissait la liberté de penser ou de s’exprimer par les tortures et la prison, on vient de nous dire hautement que le tarif de l’usage de ces libertés est désormais la mort, sans avoir le courage élémentaire d’assumer cette déclaration de guerre au peuple tunisien.

Et celui-ci ne s’y est pas trompé : en descendant massivement dans la rue, en attaquant les locaux du parti qui semble le plus proche de telles excommunications, il a signifié son attachement à la révolution, sa volonté qu’on ne puisse l’enterrer avec Chokri Belaid. Dans ce sursaut général contre l’assassinat politique, la révolution a démontré sa vitalité : elle n’est pas morte et ne se laissera pas assassiner.

L’un des premiers à avoir  tiré la leçon de cette mobilisation populaire est Hamadi Jebali : en annonçant la création d’un gouvernement indépendant de tous les partis politiques et attaché à l’intérêt national, il a pris acte de l’extrême défiance populaire vis-à-vis des partis politiques en général, et d’Ennahdha en particulier, que de plus en plus de gens considèrent comme un parti hégémonique. Les  faucons de ce part fanfaronnent et appellent leurs troupes à une manifestation de « millions de personnes » le jour de l’enterrement de Chokri : cet appel fera un flop retentissant, comme l’avait fait, on s’en souvient, un appel semblable dans un passé récent.

La double question qui se pose maintenant tient dans les chances d’aboutir de la réaction négative d’une direction d’Ennahdha, dans le sillage de Ghannouchi, de plus en plus ouvertement  candidat à un pouvoir dictatorial, qui n’exclut pas,  loin de là, népotisme et corruption ; elle est aussi de savoir si l’initiative de Jebali ne vient pas trop tard, si elle rencontrera le minimum d’approbation populaire qui lui permettra d’aboutir.

Les choses en sont là : d’un côté, la formidable mobilisation populaire en faveur des acquis de la révolution, qui se concrétisera par la grève générale à laquelle s'apprêterait aussi d’appeler l’UGTT, comme en un certain jour de janvier 2011 ; de l’autre, l’éclatement au grand jour du conflit larvé au sein d’Ennahdha, où la popularité et la crédibilité de la ligne dure sont largement entamées.

En tombant sous les balles de lâches assassins, Chokri Belaid a donné l’occasion de faire bouger la situation politique, en redonnant une place fondamentale à la révolution que ne peuvent arrêter ni les manœuvres des uns, ni le terrorisme à visage caché des autres.

Gilbert Naccache

Le titre est de la Rédaction

Gilbert Naccache : «La Révolution ne se laissera pas assassiner»
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