C’est désormais officiel. L’Emir du Qatar sera présent à la séance inaugurale de l’Assemblée Constituante, ainsi que des dirigeants d’autres Etats arabes et européens. C’est le secrétaire général d’Ennahdha, Hamadi Jebali lui-même qui l’a affirmé, ce samedi 12 novembre 2011. Mais pourquoi donc l’arrivée du Cheikh Hamad bin Khalifa al-Thani suscite autant la polémique ?
M. Jebali s’est empressé de préciser que ce n’est pas son mouvement qui a invité l’Emir, mais le Président de la République, Foued El Mbazaâ, et le Premier Ministre, Béji Caid Essebsi. Mais si la controverse est aussi vive, c’est d’abord parce que le mouvement dirigé par Rached Ghannouchi a été longtemps soupçonné de bénéficier de l’appui aussi conséquent que discret du richissime émirat, premier exportateur au monde de gaz liquéfié. Et le voyage de Rached Ghannouchi à Doha n’a pas contribué dissiper ces soupçons. La couverture médiatique des élections tunisienne d’Al Jazeera a été considérée par de nombreux observateurs comme tendancieuse et en faveur des Nahdhaouis. Or la chaîne satellitaire n’est autre que l’arme de persuasion massive du Cheikh Hamad bin Khalifa al-Thani. A cet égard, les révélations de Wikileaks ont exposé les revirements de la chaîne en fonction des intérêts diplomatiques de l’Emirat.
D’autre part, le Qatar est de plus en plus cité dans nos médias pour des projets certes pas toujours confirmés, mais extrêmement controversés. Ainsi, l’émirat, selon le très sérieux site d’information financière Tustex, serait partie prenante dans le processus de la convertibilité du dinar tunisien. Alors même que la Tunisie est ressortie affaiblie économiquement dans l’immédiat post-révolution, on a du mal à comprendre en quoi un dinar convertible peut favoriser la croissance et la création d’emplois. Pis : une telle décision pourrait même avoir des conséquences négatives incalculables alors même que des pans entiers de l’économie tunisienne n’ont pas été assainis.
Enfin l’intervention massive des qataris en Libye, c’est-à-dire à nos portes, démontrent, si besoin est, l’étendue des ambitions de ce minuscule Etat du Golfe, et sa volonté d’avancer ses pions dans la région du Maghreb. La présence de l’Emir du Qatar lors de la séance inaugurale de notre Assemblée Constituante, prévue pour le 23 novembre 2011, peut donc être perçue comme une insupportable ingérence étrangère. D’autant plus qu’au-delà de ces éléments touchant directement la Tunisie, la position des Qataris sur l’échiquier politique mondial paraît pour le moins équivoque.
L’émir Hamad bin Khalifa Al Thani, qui a pris le pouvoir en 1995 en renversant son propre père du trône, multiplie les alliances, et ne craint pas de pactiser même avec des parties qu’a priori tout oppose. Ainsi, le Qatar a à la fois entretenu des relations chaleureuses avec Hamas et Israël, sans négliger des rapprochements concomitants avec l’Iran. Par ailleurs, le petit émirat abrite la plus importante base militaire américaine hors des frontières des Etats-Unis.
Que le Qatar, d’une superficie de 11 427 km2 (soit 14 fois moins notre pays) , où se bousculent 1,7 millions d’habitants à 80% étrangers, puisse avoir une quelconque influence sur la Tunisie plurimillénaire est donc d’autant plus irritant.
Marwene El Gabsi