Ennahdha a été attendue littéralement comme le Messie par ses électeurs. Une revanche sur l’Histoire, un retournement de situation inespérée pour des militants qui ont connu la torture, la répression la plus dure. Paradoxalement, les classes populaires au pouvoir d’achat raboté par l’inflation ont majoritairement choisi un parti aux orientations économiques très libérales.
Croyant sans doute que la baraka des nouveaux élus allait compenser les rigueurs budgétaires. Sauf qu’aujourd’hui, la lune de miel semble tirer à sa fin. Et le mouvement du Cheikh Rached Ghannouchi se fait de plus en plus chahuter et multiplie les erreurs. En voici, selon nous, les cinq principales : -
Bon nombre d’électeurs d’Ennahdha, pensaient que ce parti, vu son passé, et les immenses sacrifices consentis par ses militants, était le plus à même de rompre avec le benalisme, et ses dérives corruptrices. La piété supposée de ses dirigeants, étant censée le placer au dessus des calculs politicards, du népotisme, bref, autant de fléaux qui ont conduit le régime de Ben Ali à sa perte. Or il apparaît qu’Ennahdha multiplie les concessions aux héritiers du benalisme. Ce que des pans entiers de la société tunisienne jugent inacceptables. La levée de boucliers des journalistes, qui n’ont pas digéré les nouvelles nominations du samedi 7 janvier, à la tête de l’information publique, le confirme.
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Si l’AKP, le parti d’Erdogan a pu présenter une vision moderniste de l’Islam politique, c’est parce qu’il a pu rompre définitivement avec les illusions radicales du Refah, le mouvement de Necmettin Erbakan, le père spirituel du premier ministre turc. Une scission qui ne s’est d’ailleurs pas faite sans douleur. Or Ennahdha, ne semble pas prête à se remettre en question, encore moins à se séparer de ses militants et de ses dirigeants les plus radicaux, incapables de s’adapter et à s’insérer dans un jeu politique ouvert, et dans un système véritablement démocratique. Les observateurs auront d’ailleurs remarqué que l’exemple turc n’est plus mis en avant aussi souvent par les Nahdhaouis. Un hasard ?
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Ennahdha ne critique pas clairement le salafisme. Or cette doctrine importée ne peut représenter la vision qu’a de l’Islam, l’écrasante majorité des Tunisiens. Pis : cette idéologie extrémiste fait figure de repoussoir. Et certains représentants du parti semblent caresser les salafistes dans le sens du poil. Le fait que le parti de Ghannouchi ne se dissocie pas clairement de la nébuleuse salafiste, risque de semer la confusion et de brouiller l’image «modérée» que les nahdhaouis ont eu tant de mal à façonner. Ce qui se risque de se payer cash, lors des prochaines élections.
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Après avoir pâti, durant 23 années, de la confusion volontairement entretenue entre le parti au pouvoir et l’Etat, voici que les Tunisiens découvrent que le mélange des genres est toujours permis. Or la distinction entre les deux entités, était l’une des revendications de la Révolution, et reste une condition sine qua non pour l’établissement d’une réelle démocratie. Et visiblement, les exemples se multiplient où Rached Ghannouchi accueille des dignitaires étrangers, alors qu’il n’a aucune fonction officielle au sein de l’Etat. Sans même parler des locaux de l’Etat tunisien, battant pavillon nahdhaoui, à l’occasion d’opérations caritatives.
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Ennahdha multiplie les promesses qu’elle ne pourra pas tenir. En déclarant viser l’objectif des 400 000 emplois, le parti de Rached Ghannouchi hisse la barre encore plus haut que Ben Ali, dans ses derniers discours, dans une tentative désespérée de rétablir le calme. La suite on la connait. Mais les contestataires, les sitinneurs de toute sorte n’accepteront pas de se faire payer, encore une fois, de mots. Les mouvements d’humeurs qui se multiplient dans le bassin minier, la région où a été déclenchée la Révolution, le prouvent.
Les premières semaines de gouvernement d’Ennahdha n’ont certainement pas été de tout repos pour Ennahdha et ses alliés de la troïka. Or il est bien connu que le pouvoir use ses détenteurs. Et son effet abrasif est d’autant plus rapide et important, en périodes révolutionnaires. Les trois partis se sont hissés, en quelques mois, au sommet de l’Etat, profitant justement des erreurs de leurs concurrents. Mais voici que le plus puissant des trois alliés, celui qui détient réellement les leviers du pouvoir, multiplie les couacs retentissants. Et en cas de culbute, Ennahdha risque d’entraîner ses «amis» dans sa chute. Solidarité gouvernementale oblige. Marwene El Gabsi |