Vendredi, 24 Janvier 2014 07:26

Tribune. Ballons d’essai pour tester l’ampleur du rejet des Tunisiens ? Il se peut aussi que ce «feuilleton» de la base militaire soit orchestré à partir de l'étranger pour saborder un véritable projet en cours de négociation ou pour contrer l’influence des Etats-Unis en Tunisie. Par Ridha Ben Slama

*********

La Tunisie ne cessa de réclamer l'évacuation de la base de Bierte, considérée comme une survivance du régime de protectorat. L'allongement, le 4 mai 1961, de la piste de la base aérienne de Sidi Ahmed de soixante mètres, dépassant d’un mètre cinquante sur le territoire tunisien pour permettre l'atterrissage d'avions plus puissants, était le signe de la volonté de la France de se maintenir à Bizerte et d’intensifier ses raids aériens contre la résistance algérienne. Le Président Bourguiba envoya le 6 juillet 1961 un message à de Gaulle : « aujourd'hui, au lieu de la solution espérée, nous constatons que le Gouvernement français ou, tout au moins, le Commandant français de Bizerte fait procéder dans la zone en question à des travaux de génie sous forme d'allongement de la piste d'atterrissage en vue de permettre l'utilisation de nouveaux types d'avions, ce qui revient à augmenter le potentiel militaire de la base. Ce fait nouveau apparaît grave dans la mesure où il trahit sans conteste la volonté des autorités françaises de s'installer dans « le statu quo » et même de l'aggraver ».

Les hostilités débutèrent le 19 juillet 1961. Le commandement français lança l’opération « Charrue » avec un parachutage massif de renforts. Le 20 juillet, la Tunisie rappela son Ambassadeur à Paris et rompit toute relation diplomatique avec la France. Un cessez-le-feu fut déclaré le 23 juillet à 0 heures sous l’impulsion des Nations Unies. Les trois jours d’hostilité avaient causé 630 morts côté tunisien, dont les noms sont inscrits sur le monument du cimetière des martyrs de Bizerte et 1555 blessés. Finalement, en janvier 1962 l’armée de l’air française cédait les installations de la base de Sidi Ahmed ainsi que la Base aéronavale de la Kharouba et le 1er juillet 1962 fut au tour de l’arsenal de Menzel Bourguiba. L’évacuation totale de zone de Bizerte eut lieu le 15 octobre 1963.

Cinquante-sept ans après une indépendance chèrement acquise, des bruissements déplaisants nous parviennent par alternance, sur l’éventualité d’implantation d’une base militaire américaine. Est-ce la meilleure manière d’apaiser un sentiment antiaméricain dû à la politique américaine notamment sous Bush fils ? Le discernement, s’il en existe dans les relations internationales, recommande de ne pas heurter une si vieille amitié. Les relations entre les États-Unis d’Amérique et la Tunisie s’amorcent en 1795 lorsque Tunis reconnaissait la nouvelle entité et agréait de la nomination de Joseph Donaldson Jr. en tant que consul le 28 mars de cette même année. Ensuite, fut signé le 28 août 1797 un traité de paix et d'amitié avec le bey de Tunis. Depuis l’indépendance en 1956, les relations tuniso-américaines ont été globalement irréprochables, jusqu’au bombardement israélien du quartier général de l’Organisation pour la Libération de Palestine (OLP) à Hammam-Chott le 1er octobre 1985, approuvé par le porte-parole de la Maison Blanche.


Photo aérienne du largage d'une bombe israélienne sur Hammam-Chatt

Le Président Habib Bourguiba était alors déterminé à rompre les relations diplomatiques avec les États-Unis si leur veto était utilisé contre la résolution déposée devant Conseil de Sécurité. Le texte de la résolution fut adopté par quatorze voix et une abstention, celle des États-Unis. L’attaque était donc condamnée avec une demande de compensations financières pour les dommages subis par la Tunisie mais la résolution restera lettre morte. Cet événement renforça le sentiment antiaméricain dans l'opinion publique et a été ressenti comme la trahison d’un pays considéré comme ami.

Aujourd’hui, les théories énoncées, les déclarations des responsables américains, les visites régulières, parachevées par un soutien flagrant aux islamistes, présumeraient d’un accord secret envisageable. Sauf qu’aucun Tunisien qui se respecte ne peut se hasarder à brader la souveraineté de son pays, encore moins des dirigeants à la tête de l’Etat. L’implantation d’une ambassade avec une superficie hors pair, octroyée au temps du régime déchu, avec un bureau du Département d’État d’évaluation des menaces régionales, un centre régional de formation du Pentagone pour les Forces spéciales américaines destinées à combattre dans le monde arabe et un bureau régional de la Mepi, demeure une singularité difficilement digérée !


L'ambassade US, dotée avec une immense superficie octroyée au temps de Ben Ali, constitue en elle-même une base.

Cette chancellerie représente en elle-même une base. Mais aussi les démarches assidues et persévérantes, entreprises dans toutes les directions par l’administration américaine pour installer des bases militaires en Afrique, et qui atteignent la Tunisie à travers la fréquence des va-et-vient de responsables américains, notamment militaires. Les « visites de courtoisie » et de coopération à une cadence soutenue n’ont pas manqué de mettre la puce à l’oreille en accréditant cette prétention. Pas moins de quatre hauts responsables américains se sont rendus en Tunisie en 2011 : le Secrétaire d'Etat adjoint pour le Moyen-Orient Jeffrey Feltman (24 janvier 2011), les sénateurs Joseph Lieberman et John McCain (21 février 2011), la Secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton (15 mars 2011), le Sous-secrétaire d'Etat aux affaires politiques William Burns (26 juin 2011). Le 30 juillet 2012 c’est au tour du secrétaire américain à la Défense Leon Panetta. Le 26 mars 2013 une rencontre réunit le général Carter Ham, commandant de l'US Africa Command (Africom), avec le chef du gouvernement provisoire, le ministre de l'Intérieur et le chef d'état-major des armées. Carter Ham indiquait alors que « des cadres spécialisés présenteront un appui aux forces tunisiennes en leur transmettant leur savoir-faire en matière de défense ». Cette déclaration fut interprétée comme étant un préambule pour l’installation d’une base militaire de l’Africom. Le 20 novembre 2013 le général Rodriguez rencontre le Chef du gouvernement provisoire et s’est entretenu avec des responsables du ministère de l’Intérieur et de la Défense à propos de « l’appui américain aux efforts sécuritaires et des moyens de lutte contre le trafic aux frontières ». Il souligna « l’impératif de sécuriser les deux frontières terrestres de la Tunisie avec ses voisins algérien et libyen ».

Dans son édition du 29 novembre 2013, l’hebdomadaire Jeune Afrique écrit que « Le Commandement des États-Unis pour l'Afrique (Africom) tient à renforcer sa présence dans le Maghreb. Et c'est à Remada, dans le sud de la Tunisie, qu'il a choisi pour implanter sa base militaire ». On se demande encore sur quelles preuves l’hebdomadaire s’appuyait pour publier de telles affirmations ?

Tout récemment (2 janvier 2014), le journal algérien Echourouk, qui aurait mené « des enquêtes de terrain » assure-t-il, affirme « avoir obtenu des renseignements secrets appuyés de photographies et de coordonnées de positionnement de bases américaines dans le nord et dans le sud de la Tunisie, dans lesquelles sont postés des militaires américains du commandement AFRICOM et des agents de la CIA ». Le journal indique que ces militaires américains contrôlent les frontières tunisiennes avec l'Algérie, et sont équipés de drones qui survoleraient des régions frontalières. Les photos montreraient des soldats de la Marines « dont un haut officier américain de grade de colonel et des experts en topographie et des appareils de surveillance à l’aide de satellite ». Assurément, les photos publiées, suggérant qu’il s’agit d’une base, ne sont pas convaincantes. Par contre, il s’agit bien d’une rampe de lancement d’un drone. Le site BreakingDefense publiait un article intitule “Mideast, European Allies Eye Scan Eagle Drone » le 9 février 2012 où il précise que, la Tunisie est parmi les pays qui ont acquis ce type de drone.

L’information est en effet confirmée indirectement par Shems fm ainsi que par la page de l’armée de l’air sur facebook. On apprend ainsi qu’un «drone appartenant à l’armée nationale s’est écrasé, mercredi 11 décembre 2013, pas loin de la caserne de Sbeitla dans le gouvernorat de Kasserine. Selon le porte-parole du ministère de la Défense, le colonel-major Taoufik Rahmouni, aucune perte n’est à déplorer et le drone sera vite réparé pour participer au combat contre les bandes terroristes dans les montagnes de Kasserine ». Le major Taoufik Rahmouni, porte-parole officiel du ministère de la Défense, a précisé à Assabah News, que l’accident s’est produit, au cours des préparatifs d’exercices de tir programmés pour les prochains jours ». Par conséquent, les photos publiées par Echourouk correspondraient à la formation des militaires tunisiens par les « prestataires » pour l’utilisation de drones, mais il n’y a pas une preuve tangible jusqu’à ce jour sur l’existence d’une base militaire.

En dépit de ces données, le doute demeure et les autorités tunisiennes continuent à publier à chaque fois des démentis sur l’existence d’un quelconque projet d’implantation d’une base de l’Africom sur le territoire tunisien. Malheureusement, ces dénégations n’arrivent pas encore à convaincre et à lever toute équivoque sur ce sujet. La création d’une « zone militaire tampon » dans le sud, par décret présidentiel en août 2013, accroit les doutes et suscite de sérieuses interrogations. La méfiance à l’égard de ceux qui ont gouverné la Tunisie avec autant de désinvolture depuis la fin 2011 participe à saper la crédibilité de ces démentis successifs. Beaucoup de faits et gestes des factotums au pouvoir nous interpellent et nous incitent à se poser des questions : s’agit-il de ballons d’essai pour mesurer le degré de résistance, est-ce une manœuvre de conditionnement des Tunisiens pour tester l’ampleur de leur réaction de rejet ? Il se peut aussi que ce « feuilleton » de la base militaire soit une orchestration combinée par une partie étrangère qui agirait indirectement pour saborder un véritable projet en cours de négociation ou pour contrer l’influence des Etats-Unis d’Amérique en Tunisie. De nombreux observateurs suggèrent que l’administration américaine et les planificateurs du Pentagone veulent supplanter l’influence française en Afrique, verrouiller le continent africain face à l’avancée commerciale chinoise et gagner un avant-poste pour de futures opérations vers l’Algérie.

Somme toute, une base militaire imposée sur le sol tunisien serait assimilée à une agression contre un peuple pacifique ami qui tente de trouver sa voie vers la liberté et le bien-être.

Quant aux gouvernants tunisiens, quels qu’ils soient, ils doivent aux Tunisiens une explication claire et sans détour. Ce jeu de dupes, sur une éventuelle base militaire, qui se perpétue entre arlésienne et serpent de mer doit cesser une fois pour toutes. Le chef du gouvernement doit se prononcer solennellement et  exclusivement sur ce sujet avec un engagement ferme que jamais aucun gouvernement tunisien digne de ce nom n’acceptera un tel projet. La souveraineté de la Tunisie est non négociable, l’intégrité de son territoire est sacrée et il n’est pas question ni aujourd’hui ni demain d’ouvrir la voie à la création de bases militaires étrangères sur son territoire.

R. B. S

Auteur de :

Libertés fondamentales et mode de corruption des systèmes- Editions Thélès- France – février 2010.
Le Songe Massyle, Roman historique, TheBookEdition, janvier 2011.

Du même auteur sur Mag14:

Non à une base militaire étrangère en Tunisie (3/3)
Bannière
Bannière

Annonces

Suivez-nous !

MagZik

Top 5 de la semaine

    Vos amis apprécient...

    You are here: