L’axe Tunis-Tripoli face à Alger, de Bourguiba à Marzouki
Lundi, 16 Janvier 2012 15:49

marzouki-abdeljalilLe président Abdelaziz Bouteflika est bien venu en Tunisie à l’occasion de la première commémoration de la Révolution, du samedi 14 janvier. Bouteflika s’est ainsi affiché aux côtés des autres invités de marque comme le président du Conseil national de transition (CNT) libyen, Mustapha Abdeljalil, et l’émir du Qatar, Hamad Bin Khalifa Al Thani.

Alors même qu’à l’aube de la Révolution, les autorités algériennes renâclaient à reconnaître la profondeur du changement en Tunisie. Et face à la Libye, l’Algérie a carrément freiné des quatre fers, allant jusqu’à accueillir les rescapés de la famille de Mouammar Khaddafi. La venue de Bouteflika à Tunis le 14 janvier dernier est donc un signal fort d’apaisement. Et ce n’était certainement pas chose facile pour le chef d’Etat algérien, qui voyait en Ben Ali un modèle à suivre, allant jusqu’à envoyer son chef de la police en Tunisie, pour y apprendre comment on gère les «menées subversives». Et voici que Bouteflika assiste lui-même à la déconfiture de son «ami», dont il a loué publiquement, en juin 2000, «la sagesse et la sagacité». La page est donc tournée. Ce qui n’empêche pas de feuilleter celles de l’Histoire, riches en rebondissements quand il s’agit des relations entre la Tunisie et son «Grand Frère».

 Tribulations d'un trio amoureux
bourguiba-boumedienneSi les relations tuniso-libyennes ont souvent été jalonnées de rencontres au sommet à Djerba, proximité géographique oblige, avec notre voisin de l’Ouest, c’est au Kef qu’ont eu lieu des réunions historiques, réunissant notamment Houari Boumediene (le premier à faire du burnous un costume officiel), et Habib Bourguiba, le premier président de la Tunisie indépendante. C’est en décembre 1972, que Kadhafi a proclamé ces projets unionistes avec notre pays, en direct sur les ondes de notre radio nationale, depuis le Palmarium. La réaction algérienne ne s’est pas fait attendre. Bourguiba rencontre Boumediene au Kef en mai 1973. Le président algérien lui annonce «Nous sommes prêts à toute formule : unité organique de nos deux Etats, fédération, confédération ou toute autre forme de complémentarité. Le commencement, c’est l’union entre l’Algérie et la Tunisie». Le dirigeant tunisien lui rétorquera, une fois l’effet de surprise dissipé : «L’Algérie peut nous céder le Constantinois afin de rétablir un meilleur équilibre géographique entre les deux pays».

La Tunisie a donc penché pour la Libye. Un accord de fusion a ainsi été signé en janvier 1974. De retour de Djerba, Habib Bourguiba déclarera même triomphalement : «Nous exprimons l'espoir de voir l'Algérie, la Mauritanie et le Maroc se joindre à la Libye et à la Tunisie [...] C'est ce que j'ai voulu proclamer à tous les peuples d'Afrique du Nord. Nous formons le vœu de voir les peuples du Machrek suivre notre exemple, pour former une communauté puissante et solide». Boumediene rétorquera : «L’Algérie ne prend pas le train en marche». 

Les réactions de la presse
A l’époque, la presse algérienne s’en est donnée à cœur joie pour vilipender le président tunisien. Une caricature l’a même dépeint, en compagnie de Kadhafi, en train de bâtir, tels des enfants, des châteaux de sable sur une plage. C’est que les velléités unionistes entre la Tunisie et la Libye ont toujours suscité la suspicion, du côté algérien, désireux de conserver sa prééminence au Maghreb. Or du point de vue tunisien, une éventuelle intégration économique a de bien meilleures chances de réussir avec la Libye, pour d’évidentes questions d’équilibre, et de complémentarité, notamment démographiques. Et si les dernières semaines, quelques journaux algériens ont pu critiquer acerbement les positions de Moncef Marzouki pour son discours tenu en janvier 2012 à Tripoli, ce n’est pas nécessairement pour les raisons ouvertement évoquées par les commentateurs. Et ce ne sera d’ailleurs pas la première fois que les ambitions tunisiennes agacent des puissances régionales.

Un projet né avant Kadhafi
Habib Bourguiba n’attendra pas que Kadhafi arrive au pouvoir à Tripoli, pour s’engager en faveur de l’intégration maghrébine. La thématique de l’unité du Maghreb sera développée dès 1957, par le leader tunisien, dont la famille est originaire de la ville libyenne de Misrata. Un traité de fraternité a même été signé à Tunis, le 6 janvier 1957, déclenchant les foudres de… Jamel Abdel Nasser. Comme si le chantre du nationalisme arabe devait garder le monopole des projets unitaires.

En d’autres termes, l’Union du Maghreb Arabe qui piétine pourtant depuis des décennies, remonte, en Tunisie, aux premières années du bourguibisme. Rien de bien nouveau sous le soleil de Carthage. Curieusement, ce sont pourtant ceux qui se déclarent en apparence les plus attachés à la doctrine politique de Bourguiba, qui ouvrent le feu aujourd’hui contre Moncef Marzouki. Mais si certains ont pu feindre d’être troublés par la fougue du nouveau président tunisien, il n’en reste pas moins que les projets «intégrationnistes» annoncés, et le penchant tunisien pour la Libye, s’inscrivent dans une certaine continuité. Mieux : ils plongent leurs racines dans l’histoire de notre diplomatie.

Marwene El Gabsi

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