Tribune. Mohamed Challouf, directeur de l'Association culturelle Afrique Méditerranée, co-fondateur des Rencontres cinématographiques de Hergla, rend ici un hommage appuyé à des figures phares du cinéma africain. Pour nous rappeler, à l'ouverture de la fête du 7eme Art, les valeurs essentielles qui ont fondé les JCC.
La 24° session des JCC sera marquée par le retour de plusieurs pionniers du cinéma africain et arabe révélés par ce premier festival du Continent Africain. Cette année, Carthage rend hommage à trois lauréats du Tanit d’Or : Tewfik Salah (Egypte), Souleymane Cissé (Mali), et Taïeb Louhichi (Tunisie).
Taïeb Louhichi commence sa carrière avec un Tanit d’or en 1972, pour son court métrage « Mon village, un village parmi tant d’autres ». Issu comme tant d’autres cinéastes tunisiens du mouvement des ciné-clubs, ce disciple de Tahar Cheriaa a lié à travers le cinéma beaucoup de rapports d’amitié avec de grandes personnalités de la culture africaine et arabe. Malgré les difficultés rencontrées, il continue avec grand courage de faire son métier. Les JCC le saluent au moment-même où il tourne un nouveau long métrage avec Mabo, fils d’un de ses grands amis Soutigui Kouyaté.
Tewfik Salah a remporté le Tanit d’Or en 1972 avec un chef d’œuvre « Al Makhdou’oune » (Les Dupes), film sur la tragédie Palestinienne qui reste un point de référence du cinéma engagé.
Ce grand auteur du cinéma égyptien de la génération de Chahine a démontré durant toute sa carrière à la fois un très grand talent et une solidarité constante envers les opprimés et les plus démunis. Si Carthage lui rend hommage, c’est aussi parce que le Festival veut être en syntonie avec les changements du « printemps arabe » débuté en Tunisie, et que le cinéma révolutionnaire du précurseur Salah appelait de ses vœux.
Souleymane Cissé, quant a lui, est un des rares cinéastes à avoir obtenu les trois catégories de prix décernés par le festival : Tanit de Bronze pour « Cinq jours d’une vie » en 1972, Tanit d’argent pour « Baara » en 1978, et enfin Tanit d’Or en 1982 pour « Finyé », (Grand Prix du Fespaco 1983), avant de devenir le premier cinéaste d’Afrique Noire à être sélectionné et primé en compétition officielle à Cannes avec « Yeelen », en 1987. Mais malgré tous ces prix, Cissé ne met plus les pieds aux JCC depuis 1988, et ses films « Waati » et « Min Ye » présentés en sélection officielle à Cannes restent encore inédits en Tunisie.
Cet hommage à Cissé veut en même temps honorer tout le Mali qui est en train de vivre des temps difficiles. Le Nord du pays est pris en otage par des mouvements séparatistes et des fanatiques religieux. La ville de Tombouctou, symbole d’un Nord multiethnique riche d’histoire, Patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO, est entre les mains de groupes terroristes iconoclastes.
Le public aura ainsi l’occasion de connaître un peu plus les cultures de ce pays si proche à travers plusieurs propositions au programme.
Rendre hommage aux pères fondateurs, c’est aussi rappeler ce que Tahar Cheriaa n’a cessé de dire, que les JCC existent grâce à la complicité de plusieurs de ses amis tunisiens, arabes et africains, et que «tout seul [il] n’aurait pu jamais créer quoi que ce soit. À l’époque, il y avait le soutien d' un ministre, Chedli Klibi, passionné de cinéma, de la Fédération Tunisienne des Ciné - club dont les cadres et adhérents, Nouri Zanzouri, Moncef Ben Ameur, Khlifa Chater, Jalila Hafsia, Hedhili Chaouach, Moncef Charfeddine, se sont rendus disponibles bénévolement pour organiser les deux premières sessions, puis il y a eu ma rencontre avec le grand Sembéne Ousmane qui a aussitôt adhéré à l’idée et s’est investi pour la création de la première manifestation cinématographique en Afrique».
Le retour à Tunis des œuvres de ces grands réalisateurs, ainsi que celui d’autres pionniers comme le premier cinéaste ivoirien Timité Bassori et la première actrice du Niger, Zalika Souley, sont une preuve que les JCC veulent rappeler les valeurs essentielles qui l'ont fondé, à savoir l’émulation et le dialogue d’œuvres de qualité, témoignant de l’enracinement social et de la richesse culturelle et créatrice de l’Afrique et du Monde Arabe.
Mohamed Challouf