Mardi, 21 Janvier 2014 09:10

Tribune. La Bataille de Bizerte aurait-elle déjà été oubliée? Ceux qui croient que les considérations sur l’hypothétique base militaire américaine en Tunisie ne sont que des spéculations sans fondements devraient relire l’histoire de ce pays. Voici le deuxième volet de notre série d’articles sur ce sujet. Par Ridha Ben Slama

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Un mauvais refrain sur une éventuelle base militaire américaine en Tunisie ne cesse de se répéter. Et comme le dit un adage tunisien : « l’œuf ne produit de craquement que lorsqu’il y a une fêlure en sa coqueالعضمة ما تقول طق إلا ما يكون فيها شق ». Qu’est-ce qui suscite autant de conjectures et de soupçons quant à un hypothétique projet de base militaire américaine en Tunisie ? L’évocation si fréquente de ce sujet n’est pas une donnée fortuite. Toute une décennie est ponctuée par le même tempo ; visites, déclarations, rumeurs et démentis !

L’administration américaine et ses think tanks sont libres de tirer des plans sur la comète. Par contre, ceux qui gouvernent en Tunisie doivent être capables de faire prévaloir fermement le principe du respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale.

Il ne faut pas oublier que la colonisation ne fut possible qu’avec l’aide de quelques notabilités locales corrompues et dépourvues de sens de l’Etat, qui s’étaient mis à la merci d’un chantage à cause de leurs turpitudes pour accorder des concessions jusqu’à l’établissement d’un protectorat. Ceux qui croient que les considérations ci-dessus ne sont que des spéculations sans fondements devraient relire l’histoire de ce pays.

Beaucoup de jeunes personnes en Tunisie ne réalisent pas vraiment ce que peut signifier pour une population la présence de la soldatesque d’un pays étranger sur le sol de leur pays. Ceux de ma génération, enfants ou adolescents dans les années cinquante, gardent quelques souvenirs et en savent quelques chose.

La Tunisie était soumise alors à un régime de protectorat imposé par la France à la suite d’une occupation militaire (le traité de Ksar Saïd du 12 mai 1881 et la convention de la Marsa du 8 juin 1883). Sous couvert d’un statut de « territoire protégé », le résident général (représentant du gouvernement français) détenait le pouvoir réel. Le bey indocile était destitué et exilé, comme ce fut le cas de Moncef bey en 1943. Le premier ministre tunisien comme les ministres pouvaient eux aussi être déposés, arrêtés ou exilés au gré des décisions du résident général. C’était un régime d’occupation et d’humiliation profonde. Outre le caractère dégradant de cette présence intolérable, il y avait les représailles fréquentes contre les Tunisiens.

Charles-André Julien écrit au sujet du « ratissage » du Cap Bon commandé par le général Garbay : « du 28 janvier au 1er février 1952, l’opération fut menée dans des conditions de brutalité telles qu’elles soulevèrent l’indignation non seulement en Tunisie mais en France et à l’étranger. […] Une double accusation était portée contre des soldats, principalement les légionnaires, d’une part, d’avoir violé des femmes et tué des petits enfants, d’autre part, d’avoir détruit des maisons, des mobiliers ou des provisions familiales et commis des vols » [L’Afrique du nord en marche]. L’historienne Georgette Elgey écrit : « pour la population civile plus de 200 morts, de nombreux blessés, des maisons dynamitées aussi. La guerre dans toute sa cruauté. Les faits sont certains » [La République des contradictions]. Le protectorat français avait plongé le pays dans une misère effroyable. Au début du XXème siècle, les Tunisiens sont devenus des bagnards dans leur propre pays. Le docteur Paul Vigné d’Octon qui séjourna assez longtemps dans le pays rédigea en 1907 un volumineux rapport qu’il consacra au drame tunisien et qu’il publia en 1911 sous le titre de « La sueur du burnous ou les crimes coloniaux sous la Troisième République ». C’est un édifiant réquisitoire contre l’un des plus ignobles systèmes qu’ai produits une Europe dite civilisée : « A Ksour, j’ai vu douze personnes entassées dans une sorte de gloriette, véritable impasse n’ayant d’autres jours qu’une ouverture formidablement grillagée et pas plus grande que les deux mains. Il n’y avait matériellement de place que pour cinq hommes au plus ; aussi, les malheureux étaient-ils obligés de se tenir jour et nuit debout, collés l’un à l’autre comme des sardines et s’infectant mutuellement de leurs déjections … Trois étaient là pour les arriérés de leurs impôts ; quatre pour insultes à des caïds, khalifats ou cheikhs ; deux khammès à la suite de plaintes déposées par leurs patrons ; cinq pour vagabondages et vols… Il arrive, presque chaque année, que quelques-uns de ces damnés meurent après avoir subi les tortures effroyables de la soif et de la faim. Il en est de même à Tozeur et à Nefta où pendant les étés torrides du Sud, les prisonniers du caïd implacable, un des plus dangereux que j’ai rencontrés, crèvent comme des mouches sous l’œil bienveillant du contrôleur ». Ce bref aperçu éclaire sur ce que les Tunisiens avaient subi durant soixante-quinze ans de protectorat.

Sept années après l’indépendance, la question de la base militaire de Bizerte demeura au centre des relations entre la Tunisie et la France (1956-1963). Déjà, le 23 novembre 1956 Bourguiba souligna devant l'Assemblée Générale de l'O.N.U que « La Tunisie n'acceptera jamais de devenir un champ d'opérations contre les Algériens ».

La Tunisie servait de base arrière aux combattants algériens, apportait son soutien logistique, par le transit des armes, et hébergeait des troupes de l'Armée de libération nationale. Le 2 janvier 1958 se produisit un accrochage à la frontière. Les combattants de l’ALN capturaient quatre soldats français et les ramenaient dans la région du Kef. Le président du Conseil français de l’époque chargea le général Buchalet de porter un message au président Habib Bourguiba qui refusa de recevoir ce militaire (il combattit les fellagas en 1954). Le président du Conseil français envoya alors son chef de cabinet sans succès. Le 8 février 1958, l’aviation française bombarda Sakiet Sidi Youssef (il y eut entre 72 et 75 morts et 148 blessés, dont une douzaine d'élèves d'une école primaire et des réfugiés algériens regroupés par une mission de la Croix-Rouge). La base aéronavale de Bizerte servait aux attaques aériennes contre les unités de l'A.L.N. et contre la population civile de l'Est Algérien.

R. B. S

Auteur de :

Libertés fondamentales et mode de corruption des systèmes- Editions Thélès- France – février 2010.
Le Songe Massyle, Roman historique, TheBookEdition, janvier 2011.

Du même auteur sur Mag14:

Non à une base militaire étrangère en Tunisie (2/3)
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